« Et veillez à ce que cela soit fait promptement ! »
C'est sur ces mots qu' Ivrenuirel quittait sèchement mes appartements, elle m'avait fait la leçon, comme on fait à un enfant qui se refuse à ses devoirs. Au fond de moi, je savais qu'elle avait raison et que, comme depuis trop longtemps ces dernières années, ma seule défense était la fuite.
Que m'aurait conseillé Dhrormr à ce moment ?
Puis je chassai l'image lointaine de mon mentor de mon esprit.
L'idée d'une de ces lettre diplomatique enrobée de bonnes intentions me révulsait profondément, mais je me devais de Lui dire toute la vérité.
J'attisai le feu dans l'âtre comme pour me détourner de mes songes ; un instant mon esprit fût libéré de son fardeau, mais à la vue du parchemin vierge sur ma table de scribe, tout me revint comme le reflux d'une vague sur les rochers.
Je pris ma plume et commençai :
« Mon Amie »
Ces mots familiers raffermirent ma volonté.
« Ma Dame,
Trop longtemps vous avez dû attendre cette missive, je n'ose imaginer la peine que vous avez dû ressentir en attendant chaque jour un messager qui ne venait pas et je tiens en premier lieu à m'excuser de ceci. »
Un goût amer avait passé dans ma bouche pendant que j'écrivais ces lignes.
J'étais maintenant prêt.
« Un soir que nous bavardions dans votre cuisine (je repensai à cette soirée en me disant que j'avais dû faire un bien sinistre invité) vous aviez émis le désir d'en connaître plus sur moi. Je n'avais sû à ce moment que me refermer sur moi-même et avais saisi le premier prétexte pour m'éclipser. Les mots fuyaient ma bouche et étaient insaisissables. »
Je ne savais toujours pas comment les mots viendraient ce soir, comment parler de Celfawen, de Tarhil et de tous les spectres de mon passé. Mais je faisais confiance à ma plume. Je me laissais aller à repenser au commencement de mon destin. Le premier engrenage qui avait fait de mon histoire ce qu'elle était.
Je me remis à écrire.
« On ne peut comprendre la fin que quand on en voit les moyens (cette phrase de Dhrormr résonnait alors en moi avec une puissance que je ne lui avais jamais connue). Les premiers siècles de mon existence furent plus calmes et paisibles que les eaux dormantes d'un lac, j'étais un des nombreux artisans ferronniers au service de Cìrdan, appliquant mon savoir sur les navires amenant mes Frères sur les rivages blancs des terres immortelles... C'était pendant la période de paix relative qui précédât notre époque troublée. Mes journées étaient partagées entre mon travail aux ateliers et l'entrainement aux armes que chaque citoyen des Havres était libre de suivre. En ce temps les nouvelles qui nous parvenaient de l'Eregion étaient de bonne augure et nous croyions l'Ennemi défait. (je me rendais compte aujourd'hui de notre naïveté)
Mais... Peu à peu... Les messagers, quand ils arrivaient, portaient des messages de plus en plus alarmants, et de plus en plus de navires partaient de nos ports. La rumeur de la guerre se répandait tel un vil poison dans les rues de la citée.
J'étais encore jeune quand je sollicitai une audience à mon seigneur pour lui demander de me libérer de son service : je voulais porter mon bouclier là où le besoin s'en faisait ressentir. J'avais entendu parler d'une petite troupe de combattants basée à Bree, qui parcourait l'Eregion.
Les Elhirims.. »
Le tourbillons de souvenirs qu'évoquait ce nom me fit sursauter.
« L'été suivant, je me retrouvai chevauchant vers Bree, le chef des Elhirims m'avait enjoint de les rejoindre au Poney Fringant (une auberge locale, m'avait-il dit) au Solstice.
Et c'est dans le vacarme, aujourd'hui familier, du Poney Fringant que je rencontrai mes nouveaux compagnons d'armes. L'image que je vis me déconcerta quelque peu : il y avait là des Eldar, des Hommes, des Femmes, des Nains et même quelques Hobbits ! Fracasang, leur leader, siégeait en tête de table avec à sa droite un Nain, Dhrormr, et à sa gauche un Elfe, Elestil.
Nous passâmes la soirée à manger et à boire plus que de raison en guise de présentation, ils revenaient de mission et fêtaient cela à leur manière. (que j'appris vite à affectionner et à attendre de tous mes vœux).
Le lendemain, je participai à un petit cérémonial avec d'autres recrues pendant laquelle je prêtai serment et me liais à mon nouveau chef.
Fracasang assigna les 'Nouveaux' à des membres anciens de notre troupe et forma des groupes pour les expéditions à venir.
Quand je vis les compagnons qui m'étaient assignés, j'eus un léger rictus. Comment une telle troupe pouvait-elle lutter ?, avais-je pensé. Il y avait là Dhrormr, le solide gardien, qui avait ma surveillance, Taratorn, un épéiste venu du Gondor, Moira et Taquine, deux hobbites dont l'ascendance familiale ne laissait aucun doute et... »
Voilà le moment que même ma plume redoutait... Nous y étions... Celfawen...
« et Celfawen, une Elfe à peine plus jeune que moi. Elle paraissait fragile et je me demandais comment elle pourrait nous être utile au combat. Les deux hobbites lui lançaient des pics et se moquaient d'elle ouvertement. Elle ne trouvait rien à redire et se laissait faire en souriant.
Les premières missions que nous eûmes à mener furent couronnées de succès, les routes alentours de Bree étaient plus sûres et je me sentais fier d'y participer. Mon quotidien était fait de combats contre bêtes sauvages et brigands, suivis de soirées animées au Poney Fringant.
Dhrormr paraissait satisfait de moi et ne tarissait pas d'éloges à mon égard lorsqu'il faisait ses comptes-rendus à Fracasang. Il disait souvent en me tapant vivement dans le dos « Il ira loin ce petit ! », j'avais appris à m'accommoder de son comportement bourru et respectais ses décisions pleines de sagesse.
Pendant mes journées libres, je passais le plus clair de mon temps avec Celfawen. Elle partageait avec moi ses connaissances en matière de simples et de cuisine. Au fil du temps, j'avais appris à m'incliner devant son savoir sur tout ce qui poussait et vivait dans la nature.
Deux printemps passèrent avant que je lui demanda sa main, avec Dhrormr pour témoin. Mon influence dans notre groupe avait cru en même temps que mon amour pour Celfawen, et je siégeais maintenant à la droite de Dhrormr à nos repas.
Nous étudiions les cartes tous les deux, et il me consultait pour établir ses plans de bataille.
L'hiver qui suivit, Fracasang dut partir en hâte au Gondor pour répondre à l'appel de son Intendant-Roi. Il laissa donc la garde de notre troupe à Dhrormr.
Fracasang avait été un grand meneur d'hommes et un orateur de talent, mais le jour de son départ pour le Gondor, il paraissait chétif, vieux et usé par ses années à nous guider.
Au fond de moi, j'étais ravi que mon mentor prît les rênes de notre communauté et je sentais le vent d'un profond changement.
Face à ses nouvelles responsabilités, il me délégua une bonne part de ses anciennes assignations et j'étais en charge d'organiser nos raids sur les positions ennemies, conformément à ses ordres . Mon temps se partageait entre guider nos forces au front et mes séjours à Fondcombe en compagnie de Celfawen, où elle étudiait les manuscrits de la bibliothèque d'Elrond. »
Je me rendais compte que je passais sous un silence respectueux les moments d'amour partagés avec Celfawen. Elle souffrirait déjà bien assez en lisant le peu que j'en écrivais. Mais je Lui devais la vérité.
« Dhrormr et moi dirigions notre groupe avec brio quand, à la fin de l'hiver, Fracasang revint.
Dans ma tête, ce n'était plus lui notre chef, et beaucoup partageaient ce sentiment séditieux avec moi. Je n'avais jamais vraiment connu cet homme, et pour moi il ne représentait guère plus qu'un vieillard accablé par le temps.
Après quelques temps à nos côtés, il commença à se courroucer de voir que la loyauté de sa troupe ne lui allait plus directement et que ses hommes attendaient leurs ordres, non pas de lui, mais de Dhrormr.
Avions-nous fait fausse route en écoutant Dhrormr, ou était-ce les jérémiades d'un vieil homme se sentant abandonné de tous ?
Toujours est-il que la semaine d'après, au repas du soir, il prit la parole. L'amitié qu'il portait jadis à mon mentor s'était muée en une haine sans borne. Il nous opposa son ultimatum. Les partisans de Dhrormr devaient partir avec lui maintenant, les autres jureraient à nouveau fidélité à Fracasang.
Quelques-uns des plus anciens (dont aujourd'hui, à ma grande honte, je ne me souviens ni des noms ni des visages) restèrent avec Fracasang. Et les deux tiers de notre groupe suivirent Dhrormr dans la création d'un nouveau clan.
Les Mellyn Aderthad... L'union des amis...
Les fondations de notre nouvelle guilde étaient solides et rien ne paraissait pouvoir nous ébranler, j’avais l’intention de suivre Dhrormr, mon frère de bouclier, où il irait, sans jamais faillir.
C'est à l'automne suivant que j'eus un fils… Tarhil...
Mon bonheur n'eut pu être plus complet à ce moment. »
Je séchais les larmes naissantes sur mes joues au souvenir de ces moments.
« Mais cela ne dura pas.
Les premières neiges tombaient sur la Trouée des Trolls, alors que Dhrormr était parti aux Monts Brumeux enquêter sur les bastions Poing-Bourru. J'avais voulu l'accompagner, mais il avait objecté que j'avais une famille à veiller. Il avait raison, je le savais, je me pliais donc à sa volonté et restais avec Celfawen et Tarhil dans notre maison en Falathlorn. C'était une petite bâtisse sans prétention, mais Celfawen en avait fait un petit nid douillé où je me sentais chez moi. Les fragrances de thé et de bougies parfumées donnaient une odeur unique à ce lieu.
Les ordres et nouvelles que Dhrormr envoyait me laissaient le temps de vivre une petite vie tranquille avec ceux que j'aimais.
Au plus fort de l'hiver, nous ne recevions plus de messages du Nain et les Cols étaient inaccessibles pour envoyer quelques hommes à sa rencontre, je me devais donc, sans nouvelles de lui, laisser ma paisible vie pour prendre le commandement de nos hommes.
Le rude climat et mes inquiétudes pour mon mentor rendaient la tache plus que difficile ; je m'efforçais de faire au mieux comme je le pouvais.
Bien que Dhrormr m'eut préparé à occuper sa place un jour, je sentais son enseignement incomplet et j'espérais avoir de ses nouvelles très vite.
Mais rien ne venait, et quand les Cols furent dégagés, je pris la tête d'une poignée d'hommes et nous partîmes à sa recherche. Nous ne connaissions guère la région et l'explorer nous prit longtemps, sans jamais trouver le moindre signe de notre gardien.
Peu à peu, nous perdîmes espoir et nous nous résignâmes à admettre que notre chef bien aimé n'était plus.
Un pan entier de mon existence, une de ses fondations, venait de disparaître à jamais.
Je n'avais plus le choix, plus d'échappatoire... Je me devais, en son nom et en sa mémoire, de prendre sa suite aussi bien que je le pouvais.
Depuis tout ce temps, j'avais toujours été second, sans ambition et obéissant aux ordres.
Les années qui s'écoulèrent après la chute de Dhrormr furent des plus désagréables pour moi : je devais trancher les problèmes internes et donner les indications à notre groupe, Celfawen retournait souvent en Lorien, son pays natal, en compagnie de notre fils, si bien que la maison jadis remplie d'amour n'était qu'un souvenir lointain d'une époque révolue.
Malgré l'agitation qui m'entourait, je me sentais seul...
[...]
C'est sur ces mots qu' Ivrenuirel quittait sèchement mes appartements, elle m'avait fait la leçon, comme on fait à un enfant qui se refuse à ses devoirs. Au fond de moi, je savais qu'elle avait raison et que, comme depuis trop longtemps ces dernières années, ma seule défense était la fuite.
Que m'aurait conseillé Dhrormr à ce moment ?
Puis je chassai l'image lointaine de mon mentor de mon esprit.
L'idée d'une de ces lettre diplomatique enrobée de bonnes intentions me révulsait profondément, mais je me devais de Lui dire toute la vérité.
J'attisai le feu dans l'âtre comme pour me détourner de mes songes ; un instant mon esprit fût libéré de son fardeau, mais à la vue du parchemin vierge sur ma table de scribe, tout me revint comme le reflux d'une vague sur les rochers.
Je pris ma plume et commençai :
« Mon Amie »
Ces mots familiers raffermirent ma volonté.
« Ma Dame,
Trop longtemps vous avez dû attendre cette missive, je n'ose imaginer la peine que vous avez dû ressentir en attendant chaque jour un messager qui ne venait pas et je tiens en premier lieu à m'excuser de ceci. »
Un goût amer avait passé dans ma bouche pendant que j'écrivais ces lignes.
J'étais maintenant prêt.
« Un soir que nous bavardions dans votre cuisine (je repensai à cette soirée en me disant que j'avais dû faire un bien sinistre invité) vous aviez émis le désir d'en connaître plus sur moi. Je n'avais sû à ce moment que me refermer sur moi-même et avais saisi le premier prétexte pour m'éclipser. Les mots fuyaient ma bouche et étaient insaisissables. »
Je ne savais toujours pas comment les mots viendraient ce soir, comment parler de Celfawen, de Tarhil et de tous les spectres de mon passé. Mais je faisais confiance à ma plume. Je me laissais aller à repenser au commencement de mon destin. Le premier engrenage qui avait fait de mon histoire ce qu'elle était.
Je me remis à écrire.
« On ne peut comprendre la fin que quand on en voit les moyens (cette phrase de Dhrormr résonnait alors en moi avec une puissance que je ne lui avais jamais connue). Les premiers siècles de mon existence furent plus calmes et paisibles que les eaux dormantes d'un lac, j'étais un des nombreux artisans ferronniers au service de Cìrdan, appliquant mon savoir sur les navires amenant mes Frères sur les rivages blancs des terres immortelles... C'était pendant la période de paix relative qui précédât notre époque troublée. Mes journées étaient partagées entre mon travail aux ateliers et l'entrainement aux armes que chaque citoyen des Havres était libre de suivre. En ce temps les nouvelles qui nous parvenaient de l'Eregion étaient de bonne augure et nous croyions l'Ennemi défait. (je me rendais compte aujourd'hui de notre naïveté)
Mais... Peu à peu... Les messagers, quand ils arrivaient, portaient des messages de plus en plus alarmants, et de plus en plus de navires partaient de nos ports. La rumeur de la guerre se répandait tel un vil poison dans les rues de la citée.
J'étais encore jeune quand je sollicitai une audience à mon seigneur pour lui demander de me libérer de son service : je voulais porter mon bouclier là où le besoin s'en faisait ressentir. J'avais entendu parler d'une petite troupe de combattants basée à Bree, qui parcourait l'Eregion.
Les Elhirims.. »
Le tourbillons de souvenirs qu'évoquait ce nom me fit sursauter.
« L'été suivant, je me retrouvai chevauchant vers Bree, le chef des Elhirims m'avait enjoint de les rejoindre au Poney Fringant (une auberge locale, m'avait-il dit) au Solstice.
Et c'est dans le vacarme, aujourd'hui familier, du Poney Fringant que je rencontrai mes nouveaux compagnons d'armes. L'image que je vis me déconcerta quelque peu : il y avait là des Eldar, des Hommes, des Femmes, des Nains et même quelques Hobbits ! Fracasang, leur leader, siégeait en tête de table avec à sa droite un Nain, Dhrormr, et à sa gauche un Elfe, Elestil.
Nous passâmes la soirée à manger et à boire plus que de raison en guise de présentation, ils revenaient de mission et fêtaient cela à leur manière. (que j'appris vite à affectionner et à attendre de tous mes vœux).
Le lendemain, je participai à un petit cérémonial avec d'autres recrues pendant laquelle je prêtai serment et me liais à mon nouveau chef.
Fracasang assigna les 'Nouveaux' à des membres anciens de notre troupe et forma des groupes pour les expéditions à venir.
Quand je vis les compagnons qui m'étaient assignés, j'eus un léger rictus. Comment une telle troupe pouvait-elle lutter ?, avais-je pensé. Il y avait là Dhrormr, le solide gardien, qui avait ma surveillance, Taratorn, un épéiste venu du Gondor, Moira et Taquine, deux hobbites dont l'ascendance familiale ne laissait aucun doute et... »
Voilà le moment que même ma plume redoutait... Nous y étions... Celfawen...
« et Celfawen, une Elfe à peine plus jeune que moi. Elle paraissait fragile et je me demandais comment elle pourrait nous être utile au combat. Les deux hobbites lui lançaient des pics et se moquaient d'elle ouvertement. Elle ne trouvait rien à redire et se laissait faire en souriant.
Les premières missions que nous eûmes à mener furent couronnées de succès, les routes alentours de Bree étaient plus sûres et je me sentais fier d'y participer. Mon quotidien était fait de combats contre bêtes sauvages et brigands, suivis de soirées animées au Poney Fringant.
Dhrormr paraissait satisfait de moi et ne tarissait pas d'éloges à mon égard lorsqu'il faisait ses comptes-rendus à Fracasang. Il disait souvent en me tapant vivement dans le dos « Il ira loin ce petit ! », j'avais appris à m'accommoder de son comportement bourru et respectais ses décisions pleines de sagesse.
Pendant mes journées libres, je passais le plus clair de mon temps avec Celfawen. Elle partageait avec moi ses connaissances en matière de simples et de cuisine. Au fil du temps, j'avais appris à m'incliner devant son savoir sur tout ce qui poussait et vivait dans la nature.
Deux printemps passèrent avant que je lui demanda sa main, avec Dhrormr pour témoin. Mon influence dans notre groupe avait cru en même temps que mon amour pour Celfawen, et je siégeais maintenant à la droite de Dhrormr à nos repas.
Nous étudiions les cartes tous les deux, et il me consultait pour établir ses plans de bataille.
L'hiver qui suivit, Fracasang dut partir en hâte au Gondor pour répondre à l'appel de son Intendant-Roi. Il laissa donc la garde de notre troupe à Dhrormr.
Fracasang avait été un grand meneur d'hommes et un orateur de talent, mais le jour de son départ pour le Gondor, il paraissait chétif, vieux et usé par ses années à nous guider.
Au fond de moi, j'étais ravi que mon mentor prît les rênes de notre communauté et je sentais le vent d'un profond changement.
Face à ses nouvelles responsabilités, il me délégua une bonne part de ses anciennes assignations et j'étais en charge d'organiser nos raids sur les positions ennemies, conformément à ses ordres . Mon temps se partageait entre guider nos forces au front et mes séjours à Fondcombe en compagnie de Celfawen, où elle étudiait les manuscrits de la bibliothèque d'Elrond. »
Je me rendais compte que je passais sous un silence respectueux les moments d'amour partagés avec Celfawen. Elle souffrirait déjà bien assez en lisant le peu que j'en écrivais. Mais je Lui devais la vérité.
« Dhrormr et moi dirigions notre groupe avec brio quand, à la fin de l'hiver, Fracasang revint.
Dans ma tête, ce n'était plus lui notre chef, et beaucoup partageaient ce sentiment séditieux avec moi. Je n'avais jamais vraiment connu cet homme, et pour moi il ne représentait guère plus qu'un vieillard accablé par le temps.
Après quelques temps à nos côtés, il commença à se courroucer de voir que la loyauté de sa troupe ne lui allait plus directement et que ses hommes attendaient leurs ordres, non pas de lui, mais de Dhrormr.
Avions-nous fait fausse route en écoutant Dhrormr, ou était-ce les jérémiades d'un vieil homme se sentant abandonné de tous ?
Toujours est-il que la semaine d'après, au repas du soir, il prit la parole. L'amitié qu'il portait jadis à mon mentor s'était muée en une haine sans borne. Il nous opposa son ultimatum. Les partisans de Dhrormr devaient partir avec lui maintenant, les autres jureraient à nouveau fidélité à Fracasang.
Quelques-uns des plus anciens (dont aujourd'hui, à ma grande honte, je ne me souviens ni des noms ni des visages) restèrent avec Fracasang. Et les deux tiers de notre groupe suivirent Dhrormr dans la création d'un nouveau clan.
Les Mellyn Aderthad... L'union des amis...
Les fondations de notre nouvelle guilde étaient solides et rien ne paraissait pouvoir nous ébranler, j’avais l’intention de suivre Dhrormr, mon frère de bouclier, où il irait, sans jamais faillir.
C'est à l'automne suivant que j'eus un fils… Tarhil...
Mon bonheur n'eut pu être plus complet à ce moment. »
Je séchais les larmes naissantes sur mes joues au souvenir de ces moments.
« Mais cela ne dura pas.
Les premières neiges tombaient sur la Trouée des Trolls, alors que Dhrormr était parti aux Monts Brumeux enquêter sur les bastions Poing-Bourru. J'avais voulu l'accompagner, mais il avait objecté que j'avais une famille à veiller. Il avait raison, je le savais, je me pliais donc à sa volonté et restais avec Celfawen et Tarhil dans notre maison en Falathlorn. C'était une petite bâtisse sans prétention, mais Celfawen en avait fait un petit nid douillé où je me sentais chez moi. Les fragrances de thé et de bougies parfumées donnaient une odeur unique à ce lieu.
Les ordres et nouvelles que Dhrormr envoyait me laissaient le temps de vivre une petite vie tranquille avec ceux que j'aimais.
Au plus fort de l'hiver, nous ne recevions plus de messages du Nain et les Cols étaient inaccessibles pour envoyer quelques hommes à sa rencontre, je me devais donc, sans nouvelles de lui, laisser ma paisible vie pour prendre le commandement de nos hommes.
Le rude climat et mes inquiétudes pour mon mentor rendaient la tache plus que difficile ; je m'efforçais de faire au mieux comme je le pouvais.
Bien que Dhrormr m'eut préparé à occuper sa place un jour, je sentais son enseignement incomplet et j'espérais avoir de ses nouvelles très vite.
Mais rien ne venait, et quand les Cols furent dégagés, je pris la tête d'une poignée d'hommes et nous partîmes à sa recherche. Nous ne connaissions guère la région et l'explorer nous prit longtemps, sans jamais trouver le moindre signe de notre gardien.
Peu à peu, nous perdîmes espoir et nous nous résignâmes à admettre que notre chef bien aimé n'était plus.
Un pan entier de mon existence, une de ses fondations, venait de disparaître à jamais.
Je n'avais plus le choix, plus d'échappatoire... Je me devais, en son nom et en sa mémoire, de prendre sa suite aussi bien que je le pouvais.
Depuis tout ce temps, j'avais toujours été second, sans ambition et obéissant aux ordres.
Les années qui s'écoulèrent après la chute de Dhrormr furent des plus désagréables pour moi : je devais trancher les problèmes internes et donner les indications à notre groupe, Celfawen retournait souvent en Lorien, son pays natal, en compagnie de notre fils, si bien que la maison jadis remplie d'amour n'était qu'un souvenir lointain d'une époque révolue.
Malgré l'agitation qui m'entourait, je me sentais seul...
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Dernière édition par Aeghrond le Ven 17 Oct - 6:41, édité 5 fois